--- title: "L'intéropérabilité dans le monde de la « Big Tech »" date: 2022-04-04 12:00:00 +0100 +0100 permalink: https://bouah.net/fr/2022/04/lint%C3%A9rop%C3%A9rabilit%C3%A9-dans-le-monde-de-la-big-tech/index.md htmlPermalink: https://bouah.net/fr/2022/04/lint%C3%A9rop%C3%A9rabilit%C3%A9-dans-le-monde-de-la-big-tech/ tags: [ "XMPP", "Regulations", "Free Market", "Capitalism" ] lang: fr --- En réaction à l'[annonce du parlement européen][0] de forcer certains fournisseurs de services à permettre à d'autres plus petits d'intéragir, qu'on appelle ici « interopérabilité ». [0]: https://www.europarl.europa.eu/news/en/press-room/20220315IPR25504/deal-on-digital-markets-act-ensuring-fair-competition-and-more-choice-for-users # Interopérabilité En théorie, l'interopérabilité c'est le fait de permettre à différents réseaux de communiquer entre eux. C'est cool, et même important pour l'émancipation, l'empowerment des utilisateurices. J'ai tout de même un avis nuancé dessus parce que en général ça rend les questions d'expérience utilisateur (UX) plus compliquées, voire ça fout un peu en l'air les efforts des applications clientes pour ça[^1]. Cette loi dit qu'elle va forcer les gros machins (Facebook, Apple en l'occurence) qu'elle appelle « gatekeepers » à ouvrir leurs services à d'autres réseaux. En pratique ces réseaux seront accessibles via des *ponts*. Le pont, c'est la partie logicielle qui gère la liaison entre ces deux bouts de réseau. Ça comprends le langage (protocole) que parle les deux applications, et ça traduit de l'un à l'autre. Ces ponts, ils existent déjà pour tout un ensemble de protocoles ouverts, mais aussi propriétaires comme WhatsApp. Le problème c'est que WhatsApp a tout intérêt à faire que ses utilisateurices n'utilisent rien d'autres que les applications qu'il propose. Dès que WhatsApp se rend compte qu'un pont marche, ils vont s'empresser de changer des choses au niveau du protocole pour que le pont ne marche plus, et/ou bannissent les comptes qui les utilisent, etc. [^1]: *TODO: à préciser dans d'autres articles* # Un rapport de force Quelles sont les implications du point de vue des plus petits réseaux ? et puisque ça va finir par influer les utilisateurices si ça n'est pas bénéfique pour le réseau, quelles sont les implications pour elleux ? Comment ces plateformes vont-elles gérer les questions d'identité à l'entrée de leurs portes ? D'habitude, ils demandent un numéro de tel ou une carte d'identité ou que sais-je. Maintenant qu'ils n'ont plus le contrôle sur l'entrée du réseau, est-ce les utilisateurs vont devoir s'enregistrer sur le pont pour communiquer ? Souvent c'est une excuse pour se protéger du spam, et ça leur facilite en effet le travail, même si ça a bien d'autres effet néfastes sur les utilisateurices. Ça n'est pas parce que du jour au lendemain la loi dit qu'ils doivent permettre aux autres d'interopérer que ça y est, magiquement, ils vont adopter des bonnes pratiques[^2]. Ça reste des requins et ils vont être en position de force sur tous les acteurs autour. [^2]: Le terme de « bonne pratique » étant évidemment à définir, au moyen d'un débat collectif entres personnes égales, et non d'une décision uni-latérale. De par leur nombre important d'utilisateurs, ces plateformes seraient capables d'imposer certaines pratiques à tous celleux qui voudraient communiquer avec eux. Comme ça a déjà été le cas lorsque Google (gtalk), Facebook, ou Microsoft utilisaient XMPP, et comme ça se voit dans d'autres domaines comme le mail avec Google (gmail) ou Microsoft. En gros, semblant de débat lors de la standardisation -- si ça a lieu tout court -- du fait du rapport de force inégal. # Un rapport de force déjà présent ? Certaines diront que ce rapport de force existe déjà, et c'est bien vrai. À quel niveau l'influence de ces entreprises s'étent-elle, je ne saurais dire. Possiblement au niveau des fonctionalités choisies ainsi que de l'UX : puisqu'une majorité d'utilisateurices utilisent ces plateformes, beaucoup d'entre nous actifs au sein de la communauté XMPP se disent qu'il faut que l'on puisse au moins les égaler pour attirer chez nous tout ce monde, et donc ça rentre dans le protocol. Mais du fait de forcer ces entreprises à s'ouvrir -- qui va aussi certainement être retourné pour des questions marketing comme un geste de bonté de leur part d'ailleurs -- cette influence ne va-t-elle pas s'agrandir dans nos sphères ? À quel niveau ? Dans le mail par exemple, pour peu que vous hébergiez votre propre serveur mail, vous avez dû vous frotter à gmail.com, très influent dans ce domaine, où une bonne majorité de vos contacts sont hébergés. Google abuse facilement de sa position pour imposer différentes mesures anti-spam, ou autres pratiques pour lesquelles ils n'ont concerté personne (ou alors uniquement leurs potes de chez Microsoft et autres). Et si ils souhaitent arrêter de communiquer avec vous, et donc vous priver l'accès à vos contacts, vous n'avez rien à dire. Pour préciser l'utilisation du mot « forcer » : ces changements ne sont aucunement dans l'intérêt de ces entreprises. On rappellera comme dit plus haut qu'actuellement elles empêchent activement de permettre à d'autres implémentations d'utiliser leurs plateformes, à partir du moment où ces implémentations ne passe pas par les moyens sanctionnés. C'est pourquoi il est généralement compliqué de maintenir un pont, puisque ces plateformes les combattent activement et qu'il faut constamment mettre à jour le code. Un autre exemple serait NewPipe avec Youtube sur Android. # En résumé On peut donc s'imaginer que le strict minimum sera fait pour répondre à la loi -- après qu'une horde de lobbyistes soient passés dessus par ailleurs, l'affaiblissant d'autant plus. Forcer l'interopérabilité n'est donc qu'une question de forme, et pas de fond. Le problème reste le capitalisme, l'accumulation des richesses et du pouvoir, et les monopoles et les oppressions que ça engendre. C'est certainement une vision plutôt pessimiste, mais je doute que forcer ces monopoles à communiquer avec d'autres entités puisse permettre à la communauté libre d'XMPP d'y opposer ses idées et de provoquer des changements de fond au sein de ces services, et je m'imagine plutôt l'inverse. À bas le capitalisme, et à bas les oppressions.